Et 84 kilomètres plus tard…

IMG-20160630-WA0004Chemin du retour, petite voix dans la tête d’Allison :

« Rhaaaaaaaa j’en ai marre là ! C’est dommage, parce que je suis super fière de moi mais je n’en peux plus : je suis fatiguée et  je voudrais être arrivée. En passant devant la gare de Saint-Etienne de Montluc, Anta a cru que nous étions à celle de Savenay et qu’il ne nous restait plus que 20 minutes, mais non, il nous reste bien encore 45-60min. Ça m’a coupé les jambes ! Bon, je continue, devant, j’avance. »

« Aller à Nantes à vélo… c’est drôle, mais je n’y avais jamais pensé ! »

Nous voilà basées, depuis dix jours, chez la  maman d’Allison à la Chapelle Launay, en Loire-Atlantique. Anta, piquée par le virus du Canethon, a profité de sa semaine de vacances pour nous rejoindre.

Avec elle, nous sommes allées deux jours d’affilée à la ferme de Riglanne, pour discuter et donner un coup de main à la traite des vaches et au binage dans les champs. Pour son troisième jour de vacances, nous avons choisi de faire un petit aller-retour à Nantes pour découvrir, entre autres, une association qui fait des paniers bio et tient une épicerie solidaire.

La journée s’est transformée en véritable marathon : 84km parcourus, trois associations rencontrées et d’innombrables idées échangées sur les thèmes du bénévolat, du fonctionnement associatif, de l’autonomie financière, etc. Au vu de la fin du parcours un peu difficile, nous avons bien mérité notre titre de canethonniennes.

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En route pour Nantes ! 

« Aller à Nantes à vélo, je dois bien avouer que je n’y avais jamais pensé. De chez moi, nous avons toujours fait les allers-retours en voiture ou en train. Mais pourquoi pas ? Et zou c’est parti. Ah oui, cette route-là je la connais bien ! C’est la route du milieu, ah mais, là on dévie… Tiens, un petit chemin… Oh mais c’est sympa, je n’étais jamais venue par ici. »

L’itinéraire annoncé était de 2h20, relativement plat : effectivement, par ici c’est moins vallonné que dans le Finistère !  Cependant,  entre les petits chemins, les pauses et  le désormais classique : « Attendez ! Le téléphone a perdu le signal GPS », c’est après 3h, à 12h30, que nous sommes arrivées devant les locaux de l’association ADDA.

ADDA, petite association deviendra grande

Heureux hasard, tous les jeudis l’asso organise un repas partagé : chacun apporte un petit quelque chose  et tout le monde mange ensemble. Nous découpons nos sandwiches pour en faire des petites bouchées apéritives et Alain, un des bénévoles,  rajoute trois assiettes. Sans plus de « fard ou trompette »* tout le monde est installé et les plats se remplissent.

Les discussions sont animées et nous en apprenons plus sur les activités de l’association, qui sont nombreuses :

  • paniers bios,
  • transformation de fruits et légumes récupérés dans les rebus du Marché International de Nantes,
  • vente des produis transformés en confitures, fruits séchés et autres,
  • récupérations de vêtements,
  • coin dons-troc où chacun peut se servir de ce dont il a besoin parmi ce que d’autres ont laissé là (boitier à lunettes, livres, jeux de société, …)
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Au rayon « dons – troc » d’ADDA

C’est sympa et plutôt chouette comme principe. Ils nous parlent ensuite de leur mode de fonctionnement qui vient de changer suite à leur déménagement dans de nouveaux locaux, ce qui a entrainé la perte de plusieurs adhérents. D’après ce que nous comprenons, c’est un mal pour un bien. L’asso avait trop grandi et l’état d’esprit n’était plus le même qu’au début. Il y avait des tensions, des frustrations, des incompréhensions. Julie, membre depuis 2008 (date de la création de l’association), souligne que cette transition représente une occasion de repartir comme avant.

Il semble qu’il ne soit pas facile pour une association de se développer en tenant le cap du début, en maintenant une vie associative active et en satisfaisant de plus en plus de monde. Effectivement, les débuts sont souvent marqués par la réunion de plusieurs amis, plein d’énergie et partageant le même engagement. Ensuite, par la force des choses, le groupe s’ouvre à de nouveaux adhérents, qu’il ne connaît pas, qui n’ont pas forcément le même état d’esprit, qui ne s’engagent pas tous de la même façon, mais à qui personne n’a demandé de s’engager non plus (chez ADDA, les membres pouvaient ne venir que pour acheter des paniers de fruits et légumes). Les anciens, surchargés de travail mais toujours bénévoles, finissent par perdre leur motivation et ne plus supporter de devoir en faire plus que les nouveaux membres. L’ambiance chaleureuse des débuts se perd à cause d’une augmentation trop importante du nombre d’adhérents : plus personne ne se connaît et l’association s’effrite.

Nous nous rendons compte qu’il est primordial de bien définir, au début, pourquoi l’association se monte et ce qu’il est attendu de ses membres. Association d’amis ou association prête à s’ouvrir au monde, il est important d’être clair dès le début afin de ne pas voir l’association devenir un objet personnel et pouvoir, si besoin, savoir lâcher prise.

D’une épicerie solidaire à une école populaire en un coup de pédale

Après avoir bien mangé et discuté, nous reprenons nos bicyclettes et rejoignons Julianne, une de nos copines de fac engagée depuis bientôt un an dans le Collectif de soutien aux jeunes mineurs isolés. Cet après-midi, elle anime un cours dans le cadre de l’école populaire hébergée dans les locaux de B17, rue Paul Bellamy.

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L’entrée de B17

Finalement, de l’école populaire, nous ne voyons pas grand-chose. Aujourd’hui il n’y a pas beaucoup de jeunes et l’esprit n’est pas à la fête : tout le monde se prépare pour un événement de commémoration en mémoire d’un jeune mineur étranger mort renversé par une voiture la semaine dernière.

Julianne, elle, est bien là ! Nous l’écoutons nous raconter son engagement pour ces jeunes mineurs étrangers si mal accueillis et sa révolte personnelle qui grandit jour après jour.  Assises en face d’elle, nous pensons à tous les gens que nous croisons jour après jour et qui réinventent leur présence au monde, qui se battent pour changer les choses petit à petit, de bas en haut. Julianne, elle, en veut aux forces de l’ordre, à la Préfecture, à l’Etat et à tous les individus qui laissent faire ces injustices en bas de chez eux. Comme nous te comprenons Ju, et comme nous aimerions t’emmener avec nous, là, maintenant, pour que grâce au Canethon, tu trouves ou inventes des solutions pour changer les choses. Pour que tu te préserves et pour que ton dévouement ne te ronge pas.

Allé Ju !!! Viens pédaler avec nous !

Mais non, notre Julianne est déjà partie avec les jeunes pour la commémoration. Nous quittons B17 et discutons autour de nos vélos.

« – Lorsqu’on se bat pour une cause, qu’on milite véritablement, qu’on s’engage corps et âme, ça peut nous emmener loin, ça prend beaucoup de nous-même…

-Oui, surtout quand notre cause à défendre est l’humain et que nous nous battons contre le système. Julianne le dit elle-même, elle a du mal à ne pas être pessimiste…

 – Mais alors, comment pouvons-nous à la fois s’engager et se protéger. Comment ne pas tout voir en noir ?

– Je ne sais pas… Dites les filles, on n’irait pas jeter un œil à l’atelier de mécanique du rez-de-chaussée ? »

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Les locaux de B17 et de l’Atelier

Julianne nous avait déjà rapidement introduites auprès de Roland, un des fondateurs de «L’Atelier», l’association propriétaire du bâtiment. C’est grâce à elle que l’école populaire et de nombreuses associations nantaises peuvent se réunir et organiser des activités au premier étage, juste au-dessus de ce qui nous semble ressembler à un garage associatif.

Roland est plombier de formation, et lui, la mécanique, ça ne lui dit rien. Mais en 1981, après une période de chômage, il se demande, avec quelques amis, comment créer du lien social tout en offrant à quelques-uns un travail salarié de qualité. Le petit groupe des fondateurs s’accorde alors pour dire que la voiture rassemble tout le monde et pourrait être le prétexte à un atelier d’échanges de connaissances. Ils se forment en mécanique et ouvrent alors un garage associatif.

Dès le début, les lignes directrices sont posées : l’association sera certes à but non lucratif mais suffisamment rémunératrice pour payer dignement les « permanents ». Très vite, l’association conquiert le cœur des Nantais : la démarche honnête permet à tous, après acquittement d’une adhésion proportionnelle aux revenus de chacun, de venir avec sa voiture et d’apprendre à la réparer, avec un mécano chevronné.

« Je suis toujours en vacances de quelque chose »

L’atelier sent l’huile et l’essence. Tout le monde a les mains noires et rit gaiement lorsqu’un klaxon fonctionne à nouveau ou qu’un moteur recommence à ronronner. Roland est à ¾ temps mais gagne plus qu’un smicard à temps double. Il nous explique avec beaucoup de bienveillance que la clé du bon fonctionnement d’une entreprise ou d’une association tient dans la juste rémunération de ses employés. Ici, cinq permanents s’assurent du bon fonctionnement de l’atelier. Les autres tâches sont gérées par des collectifs et les adhérents sont fortement impliqués dans le processus opérationnel.

Aucune aide de l’Etat n’est nécessaire pour rémunérer les employés : les salaires sont financés par les adhésions, en toute transparence. Ainsi, l’association est totalement libre de ses choix et peut, année après année, embaucher et continuer à autonomiser les habitants des garagistes ou concessionnaires hors de prix.

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La Peugeot Défi & l’Atelier

Une vieille Peugeot semble un peu abandonnée dans le fond du local.

«- Et celle-là, que lui arrive-t-il ?

– Elle a déjà fait deux garages et maintenant, c’est à notre tour d’essayer de relever le défi. Elle est en panne car une des pièces du moteur a sauté, et bien sûr, plus personne ne fabrique ces modèles là, surtout pas Peugeot ! Chacun s’y colle quand il a un peu de temps. On est sur une piste là, on va essayer de bricoler quelque chose. De toutes manières, à ce stade, c’est nous ou la casse : nous sommes un peu le dernier espoir de ses propriétaires !»

Oui, car Roland et ses mécanos résistent, « Cool Cool Raoul ». Contre l’obsolescence programmée, la cherté des réparations mais aussi contre l’isolement, la perte de savoir, l’individualisme…

Le bastion de Roland est militant, mais respire la bonne humeur, l’indépendance, l’ouverture, la résistance locale mais utile. L’association a maintenant 30 ans et Roland s’en va dans 10 mois. A la retraite.

«  – Mais, Roland, comment vont-ils faire, sans vous ?

– Oh ben ça fait 30 ans que moi, je ferais différemment, mais dans une association, ça ne marche pas toujours comme on aimerait, faut savoir lâcher prise, laisser faire. Je ne suis qu’un petit maillon, ils s’en sortiront très bien sans moi ! »

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Chaque chose à sa place… 

Au moment de partir, Roland nous montre rapidement un article de journal sur « son gaillard », parti il y a bientôt une année en tirant une carriole. Destination : les pays de l’est.

« Il fait un peu comme vous, il se balade, rencontre des gens, apprend plein de choses » et reviendra peut-être en septembre pour le festival de musique qu’organise Roland dans sa petite ville.

La route est encore longue jusqu’à La Chapelle Launay : nous reenfourchons les vélos mais prenons tout de même le temps de nous arrêter sur une terrasse pour boire une petite mousse d’encouragement. Toutes ces rencontres en un seul jour nous font débattre de la place de l’associatif en France, de l’importance de la juste rémunération, de l’engagement, du militantisme et encore une fois, notre périple nous apporte plus de questions que de réponses.

Qu’importe, il nous reste toute la vie pour tenter d’y répondre !

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0 réflexion sur “Et 84 kilomètres plus tard…

  • avril 13, 2017 à 2:02
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    Pas facile de restituer ce qu’est l’association l’Atelier mais c’est assez réussi si l’on songe que ce travail est issu d’un bref passage après beaucoup de vélo !
    Certains aspects de l’Atelier sont difficiles à saisir, même pour ses adhérents, sauf après un peu d’expérience et d’implication bénévole dans son fonctionnement. Pour ceux-là, dont je fait partie, il sonne étrangement de lire des phrases comme « Roland et ses mécanos ». Heureusement vous citez les paroles de Roland qui remettent les pendules à l’heure : « Je ne suis qu’un petit maillon ». A l’Atelier c’est vrai pour tout le monde et c’est pourquoi il est bien difficile d’y trouver une hiérarchie que ce soit entre les bénévoles ou parmi les salariés, de même qu’il est impossible d’en trouver le propriétaire y compris parmi les nombreux fondateurs encore présents (il en reste dans l’équipe des salariés). De quoi réfléchir sur l’utilité du leadership dans un projet qui fonctionne ; peut-être lors d’un prochain passage ?

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  • mai 12, 2017 à 7:05
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    Merci pour ce commentaire ! Effectivement, nous ne faisions que passer, et cette rencontre était bienvenue après notre très longue journée !

    Je pense effectivement que juste en passant, il est difficile de saisir tous les aspects d’un projet et d’une initiative.

    Et bonne surprise pour tous les copains de l’Atelier : nous sommes revenus en février pour filmer et le résultat arrive bientôt !

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