Le monde rural est mort, vive le monde rural ! Col-Vert à TERA
Avertissement – Ce texte, en aucune façon, ne parle de l’ensemble de « la campagne ». Nous sommes partis à vélo de La Rochelle le samedi 17 septembre en milieu de journée. Nous avons fait étape le soir même à Jarnac et le lendemain, dimanche, à Saint-Astier. Nous sommes arrivés le lundi 19 en début de soirée à Vezac. Quant au trajet Vezac-Masquières nous l’avons effectué le vendredi 24. Nous avons donc roulé en plein WE, sans se soucier des horaires des marchés locaux (ni d’aucun horaires d’ailleurs). Les impressions que je livre sont brutes. Elles n’ont aucune valeur scientifique et ne révèlent que mon ressenti.
Le trajet que je décris est celui-ci :
300 km parcourus entre La Rochelle et Vézac (Dordogne). 300km de villages à vendre : maisons abandonnées, bars fermés, volets clos. Pas un seul endroit pour prendre une mousse en fin de journée ou un café en début de matinée.
Bebert et moi avons pédalé sans répit sous des nuages bas et à travers un monde rural vide. A l’entrée de certains villages nous accueillaient de sympathiques panneaux « Voisins vigilants – village en lien direct avec la gendarmerie » et nous n’avons croisé d’âmes vivantes que de braves chiens aboyant sans répit pour protéger des maisons qui paraissaient vides.
Heureusement, nous avons pu trouver des endroits animés : Leclerc, Carrefour, Casino et autres enseignes de la grande distribution s’annonçaient sur des kilomètres en amont. Ils nous ont permis de nous ravitailler et faire face à l’absence de petits commerces dans les bourgs traversés.
Un peu défaits, très fatigués, nous sommes arrivés en Dordogne avec une sacrée problématique en tête : l’exode rural a laissé derrière lui des champs de ruines et des villages fantômes, les grandes villes sont saturées de produits toxiques et inutiles et les bourgs moyens sont la proie des grandes surfaces et du vide alentour.
Après notre arrivée à Vezac, nous avons été préoccupés par notre avenir : les copains autour de nous parlaient candidatures, recherche d’emplois, salaires, fiches de postes. Et nous échangions des regards anxieux qui demandaient :
« Et toi, tu veux faire quoi plus tard ? ». Systématiquement nous échangions la même réponse « Je ne sais toujours pas… mais on va bien trouver… ou tu sais quoi ? On devrait se l’inventer, ce boulot rêvé ! »
Et puis nous sommes remontés sur nos vélos et avons souffert 70 km de plus. Maisons à vendre, cafés fermés, volets clos et, en bonus, des dénivelés à nous faire descendre de nos bicyclettes. Le même scénario se répétait, mais au moins cette fois, il faisait beau.
Nous avons fini par atteindre notre but : l’écovillage Tera, à Masquières, dans le Lot-et-Garonne. Nous avons dévalé l’ultime pente et avons croisé un premier panneau qui nous signalait que la zone était classée « Natura 2000 », puis un deuxième panneau mentionnant « Voisinage 100% contre l’éco-hameau ».
En face de nous, il semblait y avoir un peu de monde : Marie-Hélène (co-fondatice de l’association), que nous avions eue au téléphone, nous avait dit que Tera se préparait à vivre son 3e WE de changement de saison.
Ma montagne de préjugés et moi avions soufflé à Bebert : « ouais, çà a l’air cool sur le papier, mais on va encore tomber sur des hippies sans soutiens-gorge qui mangent des graines et veulent tout partager ». A quoi il m’avait répondu un laconique : « on verra: ».
Deux minutes plus tard, nous entendions le premier « C’est vous les cyclistes ?! Bienvenue ! » – » Venez ! Venez ! Vous pouvez ranger vos vélos ici ! ».
En ce vendredi soir de fin d’été, Tera accueillait de plus son premier marché de producteurs : alors que Marie-Hélène tentait de nous conduire vers la douche, les personnes présentes installaient les étals et dessus, une myriade de fruits, légumes, fromages, pâtés, pots de miel et autres produits du terroir.
A chaque pas, nous tombions sur un nouveau sourire qui fondait sur nous, nous claquait une bise joviale et se présentait. « Salut ! Simon, enchanté ! », « Hello ! Charlène, bienvenue ! », « Bonjour ! Manue, enchantée ! »
« Hey Fred ! Les cyclistes sont arrivés ! – plus bas – C’est avec Fred que nous avons fait un tour en vélo avant de monter Tera ! « . Clin d’oeil échangé avec Bebert « LE Fred ? Frédéric Bosqué ? Celui qu’on a vu en vidéo ? – Ben… oui j’pense ! »…
« Bienvenue ! Fred, enchanté ! Alors vous venez d’où comme ça ? Moi aussi j’ai fait un grand tour à vélo, mais avec assistance électrique hein ! Vous tombez bien, c’est notre premier marché aujourd’hui. Allez vite vous doucher, on discutera tout à l’heure ! »
Malgré le monde et les sollicitations qui surgissaient de partout, Marie-Hélène parvint à nous faire visiter la maison principale et les endroits où nous pouvions planter la tente. Alors que cinq minutes plus tôt nous ne connaissions personne, voilà que nous nous sentions déjà comme à la maison.
Sous le hangar qui était utilisé en temps normal comme atelier était servi un buffet. D’abord réservés, nous avons commencé la soirée en haut des marches de la maison et discutions avec les gens qui faisaient l’aller-retour pour chercher des verres, des couverts, des bouteilles.
« Et toi, tu es là depuis longtemps ? Tu faisais quoi avant ? Et ensuite, tu penses rester ? ». Tous répondaient avec beaucoup de bienveillance à nos questions, puis Fred vint nous secouer un peu « Ben les jeunes, vous ne descendez pas ?! ».
Comme par magie nous nous retrouvâmes en bas à dévorer un délicieux taboulé, qui, après nos six heures de bicyclette, tombait à point nommé. Ragaillardis par tous les petits plats et réchauffés par le vin blanc, nous continuâmes nos rencontres.
Camille, Valentin, Jules, Simon, Elise, François… Certains vivaient là de manière permanente, d’autres venus comme nous pour le WE de changement de saison, et tous se mêlaient aux voisins, aux sympathisants, aux soutiens politiques.
Autonomie, éco-lieu, histoire du Brésil, cafés citoyens, « j’te resserre un verre ? », revenus de base, « elle est super bonne la tarte aux pommes ! », étapes, projets, villes en transition, énergie, permaculture, sommeil, tente.
Nous nous effondrâmes avant minuit dans un sommeil profond et heureux qui aurait pu s’éterniser des années si, à trois heures du matin, nous n’avions pas été réveillés par un son totalement étranger au calme de la vallée. « Une rave party ?! Mais ça existe encore ?! » – « Hé oui, faut croire, et avec un peu de chance, elle va durer jusqu’à lundi ! »
Lorsque nous avons retrouvé la joyeuse troupe, au petit matin, les boum boum n’avaient pas cessé et les plaisanteries ont fusé :
« – Et bien alors, vous avez organisé une petite fête ?
– T’as vu ces basses ? et dans toute la vallée hein ?!
– Vous rigolez, mais je suis sûre que certains dans le village feront le lien avec Tera !
– Oui, nous devrions déjà écrire un communiqué pour bien expliquer que ça ne vient pas d’ici, parce que sinon, les rumeurs vont grossir, déjà que nous ne sommes pas toujours bien vus…
– Ah bon ? Et ça rejoint les panneaux contre l’éco-hameau que nous voyons en arrivant ?
– Oui et non, c’est très simple et très compliqué : certains ne comprennent pas ce que l’on fait et nous prennent pour une communauté hippie, d’autres avaient un œil sur la maison et le terrain, et enfin, pour couronner le tout, la municipalité est en proie à des luttes plus vieilles que nous. Nous sommes devenus une question politique avant même de proposer quoi que ce soit !
– Rien de grave, mais il faut que nous soyons diplomates et fassions le maximum pour bien nous faire comprendre et accepter.
– Oui, donc forcément, ce n’est peut-être pas la peine de laisser courir le bruit que vous avez organisé une rave party … ! »
Une fois tout le monde réveillé, prêt et rassasié, Marie-Hélène a proposé une visite guidée des lieux. Nous avons donc découvert des maisons autonomes (alimentées grâce à des éoliennes, des panneaux solaires et photovoltaïques) quasi terminées, un atelier fonctionnel pouvant servir à toutes sortes de travaux et surtout un jardin en permaculture. Le but de toutes ces installations ? Penser dès le début un village autonome et dont les habitants, au préalable formés, seraient capables de construire et réparer eux-mêmes leurs maisons, de produire leur énergie et leur nourriture et, surtout, de dégager un temps important pour leurs projets personnels.
Effectivement, le projet TERA se démarque d’autres éco-lieux car :
– son but est de prouver qu’en relocalisant la production et en privilégiant les circuits courts, la répartition des richesses est plus équitable,
– il replace l’Homme au centre et permet à tout un chacun, une fois avoir donné un temps minimum à la production des biens communs, de pouvoir consacrer le reste de son temps à son épanouissement personnel (par exemple : tu es passionné de musique. Actuellement, tu passes beaucoup de temps, mettons 35h par semaine, à travailler dans une boîte qui ne t’épanouit pas forcément mais te permet de gagner suffisamment d’argent pour te procurer un toit, de la nourriture et payer tes factures d’électricité. Ce n’est qu’à tes heures perdues que tu peux te mettre à la musique. Hé bien, le but de TERA est de te faire participer directement à la production de richesses locales et donc de la base nécessaire à ta vie, et de te laisser, le reste du temps, te consacrer totalement à tes projets musicaux. Avec de savants calculs comprenant investissement de chacun, juste répartition des biens, on peut penser qu’il ne faudra que quatorze heures par semaine et par habitant pour produire les biens communs).
– Le projet est expérimental : les membres de l’association TERA ont imaginé un village agréable, intégré dans son territoire, plaçant l’épanouissement de ses habitants avant l’enrichissement personnel et autonome. Pour prouver que c’est réalisable, l’idée est de se faire « contrôler » par un comité scientifique extérieur afin d’obtenir des chiffres et des preuves validant la possibilité, au XXIe siècle, de vivre intégré à la société globale sans en subir les injustices.
A l’heure du déjeuner, nous avons pu échanger nos impressions autour de bons petits plats. Nous étions alors une bonne quinzaine de personnes et commencions à voir qui était qui. Nous avions encore beaucoup de questions à poser et Fred nous a présenté dans l’après-midi les bases du modèle économique et l’intégration au projet du revenu de base et d’une monnaie locale complémentaire. C’est passionnant et c’est décrit ici.
A la fin de cette journée, nous étions harassés mais ravis d’avoir enfin rencontré des personnes aussi résolues à « changer le monde » en gardant les pieds sur terre. Malgré les vibrations incessantes de la rave voisine, nous avons dormi à points fermés, rassurés à l’idée que oui, d’autres modèles étaient possibles (ou en tout cas envisagés !).
C’est au cours de la journée du dimanche que nous avons le plus participé et que, grosso modo, nous avons senti que notre WE à TERA allait nous faire prendre une route que nous n’avions pour l’heure pas encore perçue.
Marie-Hélène avait proposé une journée de réflexion sur la suite à donner à l’aventure TERA, notamment sur les applications concrètes du village expérimental. Par petits groupes de trois – quatre, nous avons proposé des idées sur les formes que pouvait prendre l’expérimentation, à quoi ressemblerait le quotidien des habitants et qui seraient les habitants.
Les débats allaient bon train, nous avions l’impression d’avancer, d’apprendre, bref, de servir à quelque chose. Lorsque nous avons fait la restitution au cours de l’après-midi, tout le monde paraissait heureux d’avoir participé à ce moment. Le WE touchait déjà à sa fin : alors que nous nous attelions à réparer une roue de vélo crevée, nos compagnons venaient nous saluer avant de prendre la route pour un retour vers une vie « classique ».
Pour notre part, nous ne partions que le lendemain matin et, toujours autour de nos vélos, nous avons continué à débattre de ce nouveau modèle qui proposait des solutions simples pour redynamiser les bourgs et redonner un sens à la vie rurale.
Nous sommes repartis de TERA boostés à bloc, plein d’idées et d’envies pour Col-Vert, pour les campagnes, pour les villes, pour tous nos potes qui se cherchent, pour tous les désillusionnés de notre société et pour tous les gens qui se lèvent le matin et cherchent désespérément un sens à leur vie.