Une belle zone à défendre – Passage à Notre Dame Des Landes

En juillet dernier, nous étions dans la région de Nantes. Nous avons rencontré beaucoup de monde et partout résonnait en fond le « cas Notre Dame des Landes ». Peut-être que, comme nous, vous n’avez pas toutes les cartes en main pour comprendre le contexte général de cette affaire qui dure depuis… 1967 ! Avant de vous plonger dans la lecture des lignes qui suivent, voici des liens pour mieux saisir les enjeux globaux : 

  • Reporterre a réuni tous les articles concernant Notre Dame des Landes dans ce dossier
  • Notre auteur préféré, Etienne Davodeau, a écrit une bande dessinée sur un sujet similaire : Rural !
  • Les grands projets inutiles ont été décryptés dans un article du Monde Diplomatique,
  • Enfin, un petit livre rédigé collectivement, « Les Grands Projets Inutiles » a pu paraître grâce à cette campagne de financement.

Et pour toutes les activités sur la zone, le site de l’ACIPA regroupe bon nombre d’informations. 

Pour notre part, nous aurions mille choses à raconter suite à toutes les discussions que nous avons eues à ce sujet avec de multiples acteurs. Finalement, nous avons retenu ce dialogue, qui reflète bien les échanges que nous avons à vélo. 


Depuis le début du Canethon, tout le monde nous dit :

« Il faut absolument que vous passiez à la ZAD de Notre-dames-des-landes ! »

Si la ZAD de NDDL est effectivement sur notre carte, le but du Canethon n’est pas de voir des lieux, mais de rencontrer des porteurs de projet.

« – Ah mais à la ZAD, il y a plein de beaux projets de transformation et des réflexions sur la société et son organisation….

– Super, alors il nous faudrait un contact ou une personne qui pourrait nous introduire ! »

Et à chaque fois, nous entendons la même chose :

« Il faut y aller et vous verrez sur place »

Cette réponse nous donne toujours une drôle d’impression. Comme si nous étions « obligées de… », parce que notre projet est « un peu alternatif, dans la voie du changement ».

Nous décidons d’attendre tranquillement que la ZAD nous appelle plutôt que de forcer la porte. Et, un beau jour, sur le marché bio de Feuillet, nous croisons Fatima. Au fil de la discussion, elle comprend notre dilemme et nous conseille d’aller à Saint-Jean du Tertre. De là, il nous sera facile de trouver le resto-roulotte de la ZAD et de discuter avec l’équipe qui se charge de cuisiner les produits cultivés sur place et de servir des plats ultra-locaux.

Nous en profitons pour jeter un oeil à des documentaires, comme celui-ci :

ou celui-là :

Entre Nantes et le Morbihan, nous planifions une journée à vélo pour faire l’aller-retour depuis la maison d’Allison, à une vingtaine de kilomètres de là.

Jour J – Sur nos vélos

Allison :

C’est marrant, la résistance au projet de Notre-Dame-des-landes, j’en ai toujours entendu parlé. Depuis que je suis petite, je vois les stands « Non à l’aéroport » et pourtant, je n’y suis jamais allée.

Florence :

Pour ma part, les premiers souvenirs que j’ai de la ZAD me viennent du profil Facebook d’un pote qui avait mis une affiche sur sa page. Le cliché représentait une longue file de gens qui avançaient sur une route de campagne, entre deux champs boueux et en plein hiver. Ils avaient tous l’air maigrichons, beaucoup avaient des barbes négligées. On aurait dit une image d’exil. Un message disait « TOUS AVEC NOTRE DAME DES LANDES ».

Et dans mon for intérieur, j’avais dû me dire quelque chose comme : « mais, qui a envie d’aller là-bas ?! ». Cette lutte me paraissait incompréhensible. Par la suite, je me suis dit pendant des années « il faut que je me renseigne, il faut que je trouve des informations fiables sur cette histoire d’aéroport. Et j’ai laissé trainer jusqu’à maintenant… »

Allison :

Oui, mais toi tu vivais loin d’ici ! Moi, je me dis que le sujet me touche de si près que j’aurais déjà dû y aller, voir un peu de moi même ce qu’il en était. D’un autre côté, j’avoue ne jamais avoir été une grande rebelle ou manifestante. Je pense quand même être quelqu’une d’engagée, mais j’ai toujours eu du mal à me motiver pour défiler et manifester dans la rue. La première fois, c’était contre Fillon et le CPE, la dernière fois, c’était pour soutenir la loi ouvrant le mariage à tous les couples. Et je dois bien avouer que sans les ami(e)s, je n’y serai pas allée, même si j’étais profondément pour.

Florence : 

Oui, ça me rappelle un peu mon ressenti par rapport aux manifs. A 20 ans, alors que j’étudiais à Tolbiac, les AG houleuses dans le célèbre « Amphi N » m’avaient bien calmée. Les débats étaient monopolisés par les « meneurs » qui tenaient le crachoir et intimidaient, parfois violemment, tous ceux qui pensaient différemment. Si j’ai toujours été de cœur avec les luttes, je n’aime ni le fonctionnement de parti, ni la violence.

10 ans plus tard, après m’être interrogée et parfois forcée à aller « en manif » pour « soutenir une cause », je ne me sens plus coupable d’agir autrement. Certains de mes copains le comprendraient comme une manière de « se planquer », d’éviter un conflit – pourtant « nécessaire » – avec un état policier injuste.

Je me plais à croire (et je me trompe peut-être) que je suis faite pour une autre sorte de lutte. Une bataille dans laquelle nous ferions plus envie que pitié, où l’ensemble de la population aurait envie de s’impliquer de notre côté et de changer son quotidien.

J’ai compris que toute violence naissait d’une frustration et j’ai réalisé que pour éviter la frustration, il fallait s’occuper des problèmes de fond.

Entre temps, nous perdrons inlassablement toutes les luttes qui ne s’attaquent qu’aux conséquences des véritables injustices.

Allison :

Mais il y a des luttes, comme celle contre l’aéroport de Notre-dames-des-landes, que j’aurais du mal à perdre. Plus j‘y pense, plus je le réalise. Ça serait plus qu’un sentiment de défaite, ça serait de la véritable tristesse. Je serais profondément touchée par le fait de réaliser à quel point l’humain peut être destructeur et ne pas s’en rendre compte.

Florence :

Peut-être qu’ils oseront construire un aéroport sur une « zone humide ».  Peut-être qu’ils détruiront tout un écosystème en faisant croire qu’ils créent de l’emploi et de la richesse. Mais tant que la « foule » pensera que cette richesse là est meilleure que l’alternative, nous n’irons nulle part.

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Entre-temps, nous sommes arrivées sur la ZAD et nous apprenons que le restaurant est parti la veille. Mince, nous voilà de nouveau sans projet à découvrir ! Qu’à cela ne tienne, nous décidons de nous balader dans le coin et de sentir le lieu. Ce que nous découvrons : des paysages superbes, des champs cultivées, des petites maisons toutes mignonnes, un centre équestre… Une biche nous surprend et nous coupe la route en sortant d’un champ. C’est paisible et beau. Magique.

Allison :

J’ai dû mal à comprendre comment, autour de moi, autour de la zone du futur aéroport et même ailleurs, les personnes ne se rendent pas compte de l’absurdité de ce projet et des arguments avancés pour le justifier. Je dois avouer que parfois cela me met en colère.

Florence :

Mais regarde Alli, comme tout est bien ficelé ! Leurs discours sont construits, leurs arguments paraissent solides et qui n’a pas le temps et l’envie de sortir vérifier par lui-même peut se faire facilement avoir…

Prends notre exemple ! Il nous a fallu des années pour lâcher prise. Douze ans pour moi, 12 ans parsemés d’études (et entendons-nous, avec deux Masters validés, pas 12 premières années), de restauration (et pas que serveuse, hein !), de voyages, de vie en couple. 12 ans pour réussir à renoncer à des boulots, à un salaire, « une situation » et pour dire : « c’est bon, on va dans le mur là, j’arrête ! » et pour partir à l’aventure, pour essayer de comprendre, ce qui marche, ce qui fait envie, ce qui tient la route.

Et pourtant, je n’ai pas d’enfant et je n’ai pas d’obligation familiale. Comment vouloir que toutes les personnes qui ont la tête dans le guidon, ou celles acculées par des dettes, ou celles qui ont peur de « tout perdre » ou un entourage oppressant, réussissent à « lâcher prise » ? A remettre en cause le système, leur vie et des projets de grands travaux inutiles ?

Allison :

Oui… et moi je me sens désemparée et un peu honteuse de ne réaliser qu’aujourd’hui, après une journée passée à nous balader autour de Notre-Dames-des-landes, à quel point cet endroit est beau et plein de vie. Ici, il y a des familles, des personnes qui travaillent, de la faune, de la flore. L’environnement a l’air si sain. C’est tranquille, loin du bruit de la route, de la ville. Imagine les avions qui viendront arroser tous les voisinages de kérosène ou autres polluants !

Tu te rends compte Filo, l’aéroport, il ne serait qu’à 45min à vélo, de chez moi ! Je n’arrive pas à imaginer toute cette pollution sonore, visuelle et industrielle au-dessus de mon petit jardin.

Oui je sais, ma réflexion peut paraître égoïste, mais elle a le mérite de m’avoir fait réaliser l’ampleur de ce qu’il reste à changer pour que la société devienne plus cohérente.

Ici, l’État veut construire un aéroport pour relier des destinations que l’ancien aéroport relie déjà, pour que les habitants de Nantes soient moins gênés par le bruit des avions en le transférant là où, habituellement, il n’y a pas de bruit, en pleine campagne, afin de soulager un aéroport soit-disant plus aux normes qu’il faudra quoi qu’il en soit remettre aux normes puisqu’il n’est pas question de le fermer. Un projet pour du « toujours plus » : plus de trafic, plus de transit, plus de visibilité, plus de notoriété.

Quand est-ce que nous réaliserons que le « toujours plus » ne va pas avec le « toujours mieux » ? A toujours vouloir plus, nous détruisons tout : l’environnement, l’économie, l’équilibre entre tout. Est-ce une lutte qui peut être gagnée ?

Cela fait presqu’un mois que nous pédalons et en voyant toutes ces personnes et tous ces projets qui changent les choses à leur niveau, qui bougent, j’étais remplie d’optimiste. Puis il y a eu le résultat positif du référendum sur le projet d’aéroport. Tout le monde connaissait le résultat à l’avance mais j’avais un petit espoir. Le retour à la réalité n’en est que plus brutal.

Florence :

La lutte se gagnera petit à petit, dans le fond, quand on arrivera à faire comprendre qu’une matinée dans un pré avec des vaches est plus funky qu’un voyage à l’autre bout du monde en  avion. Qu’un trail en pleine nature est plus revitalisant qu’un chrono sur un tapis de course. Qu’une bonne balade à vélo vaut tous les moyens de transports réunis. Qu’il est vain d’attendre le WE et les vacances si les 90% du reste du temps est passé à engranger de la frustration dans un boulot sans avenir.

Allison :

Oui, quand on réalisera que nous avons tous plus à gagner à ce que chacun soit heureux, plutôt que de penser que certains doivent se tuer à la tâche, pour que quelques uns puissent mener une vie absurde.

Ça me rappelle ce que Vincent de la CCI nous disait : il vaut mieux travailler à agrandir le gâteau indéfiniment, plutôt que de chercher à augmenter sa propre part d’un gâteau de taille fixe.

Nous sommes rentrées un peu amères, un peu défaites, et pourtant encore pleines d’espoir dans la jolie petite maison de la maman d’Allison. Quelques jours plus tard, un WE festif était organisé pour sensibiliser le grand public à l’intérêt de poursuivre le mouvement anti-aéroport.

De notre côté, nous continuons à sillonner les territoires en quête de sens, de réponses et devenons accros à notre mode de vie nomade, ouvert à toutes possibilités et changements d’itinéraires.

Nous apprenons à « accueillir le jour comme il vient et non pas comme nous voudrions qu’il soit »*, et c’est une sacrée leçon ! 

*Gide

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