Libérez l’usine !
De notre tour en Bretagne, il nous reste beaucoup de choses à vous raconter. Ci-dessous, un article que nous avions sous le coude depuis… le 24 juin.
Vendredi 24 juin, nous avons quitté le Finistère sud. Ça n’a pas été chose facile ! Plus nous rencontrions des gens, plus nous obtenions de nouvelles adresses et nous aurions bien pu consacrer un Canethon entier au Finistère.
Ce vendredi-là, nous avions rendez-vous dans une brasserie chic de Quimper avec Gisèle et Thierry, tous deux récemment retraités des usines Poult. Nous étions ravies parce que le groupe Poult a entrepris, il y a une dizaine d’années, un processus de « libération »: nous allions pouvoir en apprendre plus sur les applications concrètes des nouvelles façons d’organiser le travail. De plus, nous allions pouvoir échanger sur la place de l’Homme dans l’entreprise et de celle de l’entreprise dans la vie des salariés.
Gisèle et Thierry, des cadres au cœur du changement
Thierry, retraité depuis janvier 2016, a d’abord été directeur de l’usine de Fouesnant, puis de celle de Briec. Ensuite, il a intégré le comité de direction puis a accompagné le changement vers une entreprise libérée.
Gisèle est, pour sa part, retraitée depuis début juin mais reste très impliquée dans le groupe. Anciennement directrice de la recherche, du développement et de l’innovation au sein de l’entreprise familiale Poult, elle a fait partie des personnes à l’initiative de la démarche pour transformer l’organisation classique vers une entreprise dite libérée.
L’innovation sociale pour rester compétitif
Au début des années 2000, l’entreprise connu pas mal de difficultés, au point de devoir mettre en place « un plan social ». Ce dernier ne résolvant en rien le problème de fond, le président réfléchit à une solution plus pérenne. Il fut alors décidé d’impulser une culture d’entreprise commune à tous les sites. Pour ce faire, la direction pris l’initiative, entre 2005 et 2006, de former les managers à la transition. Le groupe Poult fit alors appel à des consultants externes. Ces derniers introduisirent la notion d’entreprise libérée et le processus de transition ne tarda pas à être lancé au sein du groupe.
« Chacun compte et chacun s’en rend compte »
Une des premières étapes pour mettre en place une entreprise libérée consiste à « dé-hiérarchiser » les instances dirigeantes. Pour cela, le comité directeur et le budget (non non, je ne me trompe pas, j’ai bien écrit BUDGET…) ont été supprimés.
Ensuite, le mode de fonctionnement a été rebasé sur des valeurs et non plus sur des processus et des protocoles.
Enfin, il a été arrêté que toutes les décisions devaient se prendre en groupe au sein des différents collectifs : investissements, rémunérations, embauches, etc.
L’accompagnement : le point clé de la transition
Pour Gisèle, la « dé-hiérarchisation » a consisté à libérer ses équipes, en les autonomisant et en leur apportant l’accompagnement nécessaire. Effectivement, pour elle, ce sont les changements qui font peur et il est nécessaire, dans toute phase de transition, d’apporter un soutien de qualité. Cette démarche lui a permis de se concentrer sur le rôle de l’entreprise dans la société et sur certains aspects plus globaux tout en restant à l’écoute de ses équipes.
Explication visuelle tirée du chouette article de Vanina Gallo : http://vaninagallo.com/laisser-prosperer-lentreprise/
Faire tomber les masques et devenir acteur de sa vie
Pour Thierry, le plus difficile dans la transition a été de passer d’un système où tout le monde jouait un rôle à un système où chacun se devait d’être vrai. Impossible, dans une démarche telle qu’engagée par le groupe, de mettre un masque le matin, d’aller travailler, puis de redevenir « soi-même » à la sortie de l’usine. Si l’implication de chacun n’est pas entière et honnête, le système « libéré » s’écroule.
Une transition longue pour un résultat encore flou
L’usine Poult n’est toujours pas en phase d’achever sa transition… 10 ans après ! Il lui reste encore du chemin et des écueils à éviter.
D’autres entreprises sont allées plus vite et plus loin. Cependant, Poult, usine de production, appartenant à des financiers et regroupant cinq sites de production aux états d’esprits différents, semble cumuler les freins au changement. En effet, la transition serait a priori plus aisée dans les entreprises de service et il semble nécessaire que chaque site trouve lui-même son propre système de gouvernance. Pour le cas de Poult, si des sites ont accepté la démarche de libération, d’autres y ont été forcé.
Surfer entre innovation et sécurité : un défi sans cesse renouvelé dans une usine libérée.
Pour Gisèle, la réussite d’une entreprise libérée tient sur trois principes majeurs :
– que chacun donne le meilleur de lui-même,
– que l’innovation soit l’affaire de tous,
– et enfin, être capable de se remettre en question spontanément.
Ce dernier point semble particulièrement complexe car nous avons tous une tendance à rechercher notre zone de confort. Cependant, la stabilité entraine a fortiori un immobilisme dangereux pour la survie de l’entreprise. Trouver un juste équilibre entre l’innovation et la sécurité représente un des défis majeurs de l’entreprise libérée. L’échec devient une probabilité et faire accepter cette marge d’erreur aux investisseurs et aux employés est un exercice délicat.
Cet état d’instabilité pose aussi la question de la capitalisation des savoirs. Il paraît logique de vouloir sauvegarder des connaissances acquises et détenues par des prédécesseurs. Cependant, nous explique Gisèle, à partir du moment où nous capitalisons, nous revenons à quelque chose de figé et la remise en question disparaît. Encore une fois, l’équilibre entre le confort et l’innovation représente un défi majeur pour toute entreprise en questionnement sur sa gouvernance et sa productivité.
Quand l’entreprise permet de réfléchir a sa propre place dans la société
Quoiqu’il en soit, et malgré les difficultés rencontrées au cours de cette expérience, Gisèle et Thierry retiennent surtout de beaux moments nés de dynamiques fortes. La transformation, nous disent-ils, doit commencer par un travail sur soi-même et est forcément complexe. Elle se fait par étapes, en étant parfois en avance sur le processus et d’autres fois en retard.
« Nos équipes nous disaient : « Vous voulez que nous lâchions prise, mais là, c’est vous qui n’en êtes plus capables ». Nous avancions petit à petit. Car lâcher prise est bien plus complexe qu’il n’y paraît, pour les employés ET les cadres ; laisser les autres apprendre de leurs erreurs est un exercice extrêmement difficile. »
En fait, nous aussi nous sommes dans un processus libérateur !
Thierry est également en phase de transition : comme nous, qui venons de finir nos études et nous lançons dans « l’après vie universitaire », il termine une période en tant que salarié et est amené à se re-définir dans son nouveau statut de retraité. Il fait le parallèle avec la transition qu’il a vécue au sein de l’usine Poult, lorsqu’il a dû repenser son « pouvoir » de directeur : la complexité se trouve souvent dans la recherche d’équilibre entre le nous et le je, entre la reconnaissance collective et individuelle.
Nous nous reconnaissons dans ces propos, dans les retours que nous avons de notre démarche, ce qu’en disent nos proches et les personnes rencontrées. Gisèle conclut l’entretien :
« N’attendez pas forcément de trouver une réponse des autres, mais il est certain que dans toutes vos rencontres, vous en apprendrez beaucoup sur vous et vos envies » !
Promis, nous allons continuer à lâcher prise tout en repensant notre place dans le monde !
Plus d’infos sur la démarche des Usines Poult, c’est ici : https://www.linkedin.com/pulse/management-collaboratif-les-clés-du-succès-de-poult-hittelet
Merci beaucoup pour cet article complet et inspirant ! Cela donne une autre perspective sur la « libération » de cette usine Poult, déjà présentée dans le documentaire de Arte : Le bonheur au travail.
Vous faites un super travail de prospection et cela donne envie de vous suivre !
Merci Beber ! On t’attend avec impatience sur la boucle Dordogne 😉